jeudi 15 janvier 2009

Madame Berthe, de Berthierville (2)

Madame Berthe de Berthierville, le mollet quelque peu endolori par sa dernière randonnée mouvementée, sortit de chez elle, son fier vélo bien en main. Pas de voisine jurée en vue, pas de regard scruteur inopportun, tout allait bien. Elle pouvait librement aller rouler sur les chemins ensoleillés. Elle s'étonna d'avoir plus de facilité qu'à l'habitude pour enfourcher sa monture, malgré ses muscles raides.

Ah, que la route était belle, que des arbres verts et le ciel bleu !...
Aucune côte ne dérangerait Madame Berthe ce jour-là.
Toutefois, au bout de quelques centaines de mètres, elle sentit ses cuisses chauffer outre mesure. Aucun vent, pourtant, ne lui faisait face, aucun faux-plat ne s'opposait à sa ligne de conduite. Mais ses cuisses semblaient pourtant forcer plus que d'ordinaire.

Sur un trottoir, le jeune Nicolas, 8 ans, pédalait avec ferveur sur son magnifique tricycle rouge "Radio-Flyer". 8 ans ? « Un peu trop grand pour ce petit tricycle, se dit Madame Berthe. » Le petit Nicolas pédalait les genoux sous le menton.

Soudain, leur regard se croisèrent. Le petit stoppa net, les bras et les jambes semblables à une grenouille tétanisée. Son petit regard noir était si intense qu'il troubla Madame Berthe. Celle-ci, hypnotisée par cet iris inquisiteur, faillit faire une embardée dans la haie de cèdre de Monsieur Constant, anciennement de Saint-Constant.
Celui-ci, le boyau d'arrosage pendouillant nonchalamment à la main, déversant un malingre et inutile filet d'eau sur son allée d'asphalte, fraîchement goudronnée au Superbouchtrou2000™, assista à la scène sans sourciller, sans même que la moindre pensée lui traverse l'esprit.

C'est alors que Madame Berthe se ravisa et évita de peu la haie verte, Pantone #3305C, coupée au millimètre par le Superkouptouara2000™. Madame Berthe se mit à rire. Un rire qui passa presqu'au fou rire. Monsieur Constant, dans sa constance légendaire garda la pose, toujours aussi passif et massif. Madame Berthe passa devant lui et continua à rire aux éclats. Le petit Nicolas n'avait, lui non plus, pas bougé d'un iota, subjugué par l'hilarité de cette vieille dame à bicyclette.

En fait, Madame Berthe riait d'elle-même, car elle avait compris, en voyant la pose batracienne du petit Nicolas, qu'elle avait dû lui ressembler tout au long de son parcours. En effet, la veille, à l'épicerie, suite aux judicieux conseils de son neveu, fier amateur de vélo, elle avait, pour la première fois, retiré la selle avec la tige de selle, de son bicycle pour ne pas se la faire dérobée. Mais elle ne l'avait pas remise à la même et bonne hauteur. C'est ainsi que Madame Berthe pédalait depuis ce matin, les genoux presque sous le menton, tout comme le petit Nicolas, ne permettant pas à ses jambes de bien s'épanouir dans la joie et l'allégresse de cette belle matinée d'été !
Elle s'arrêta donc, non sans peine, devant l'allée asphaltée, afin d'ajuster la hauteur de sa selle. Pour sa part, Monsieur Constant, incrédule devant tant d'action, ne s'aperçu pas que le rire de Madame Berthe venait de changer de source. Madame Berthe regardait Monsieur Constant s'arroser les pieds depuis plusieurs secondes.

Je dédie ce texte à toutes les personnes que je vois forcer pour rien à cause d'une selle trop basse, le long de mon parcours maison-bureau.

De la série : "les aventures de Madame Berthe de Berthieville"
Madame Berthe de Berthieville (1)

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